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Chapitres

 

Christine Lemoine
Aout 2011

 

 

 

 

Les rouages de l'organisation de la classe

La place des coins jeux

A l'école maternelle, les coins jeux sont généralement ouverts à l'accueil et à la fin des ateliers pour les élèves qui ont terminé leur travail.

Ces notes ne prétendent porter aucun jugement, mais vise à donner des repères aux collègues qui découvrent la palette pédagogique de l'école maternelle.

À chacun de déterminer les pratiques les plus adaptées à sa conception du métier et à ses conditions d'exercice, bien différentes d'une classe à l'autre.


Dès les premières lignes, les instructions officielles de 2008
situent la place du jeu en maternelle :
"En répondant aux divers besoins des jeunes enfants qu’elle accueille, l’école maternelle soutient leur développement. Elle élargit leur univers relationnel et leur permet de vivre des situations de jeux, de recherches, de productions libres ou guidées, d’exercices, riches et variés, qui contribuent à enrichir la formation de leur personnalité et leur éveil culturel.
Elle laisse à chaque enfant le temps de s’accoutumer, d’observer, d’imiter, d’exécuter, de chercher, d’essayer, en évitant que son intérêt ne s’étiole ou qu’il ne se fatigue. Elle stimule son désir d’apprendre et multiplie les occasions de diversifier ses expériences et d’enrichir sa compréhension. Elle s’appuie sur le besoin d’agir, sur le plaisir du jeu, sur la curiosité et la propension naturelle à prendre modèle sur l’adulte et sur les autres, sur la satisfaction d’avoir dépassé des difficultés et de réussir."

Rappelons en passant la définition du jeu : Activité d'ordre physique ou mental, non imposée, ne visant à aucune fin utilitaire, et à laquelle on s'adonne pour se divertir, en tirer un plaisir. (Larousse)

Deux paramètres à combiner :
- le jeu a toute sa place à l'école maternelle
- le jeu obligatoire n'en est pas un.

Pour que tous les élèves trouvent des occasions de
s'engager par eux-même dans les coins jeux, j'ai choisi de laisser ces espaces ouverts durant les ateliers. Il y a donc dans la classe des enfants qui jouent en même temps que d'autres travaillent. Tous sont bien souvent en apprentissages (voir Les coins jeux).
Bien sur, je fixe certaines règles d'utilisation stricte : on ne fait pas trop de bruits aux coins jeux, on respecte le matériel et les copains, sinon on en sort. Avec cette règle in-con-tour-nable, appliquée sans crier pour ne pas déranger les autres, les enfants font très rapidement des efforts pour pouvoir y rester.

Ouverture progressive des ateliers

L'enseignant rassemble la classe pour présenter les activités en regroupement collectif.
Tous les élèves partent travailler en même temps sur les différents ateliers.

L'enseignant gère un groupe d'élève à son atelier.

Les ateliers sont ouverts un par un avec les PS/MS, table après table, sans regroupement préalable. Les enfants volontaires s'inscrivent tandis que d'autres continuent de jouer. Ces derniers rejoignent les ateliers dans un second temps.
Cela permet de :
- Développer un rapport positif aux apprentissages.
Le besoin de jouer n'est pas écrasé par l'obligation d'apprendre. Avec cet équilibre entre jeux et apprentissages, l'enfant peut continuer d'être curieux d'apprendre.
- Mettre en oeuvre un temps de langage.
Nous prenons le temps de construire ensemble la consigne, sans la pression du grand groupe. (Voir "Le langage scolaire")Les élèves s'exercent à l'échange collectif au sein de l'atelier, avec des enfants concernés. Ils engrangent petit à petit les mots de l'école, ses attentes, les mots des autres que la petitesse de la structure nous permet de faire émerger ou entendre. Certains apprennent à expliciter, quand d'autres s'approprient une posture d'élève.
Indirectement, cela permet de proposer des ateliers plus complexes, des ateliers échelonnés ou des situations problèmes qui demandent une mise en oeuvre plus attentive, dans la proximité.
- Diversifier les modes d'entrées dans l'activité
Les élèves les plus scolaires s'inscrivent tout de suite. Ceux qui jouent se déplacent, observent l'activité se dérouler "en vrai", mesurent l'enthousiasme des autres. Rassasiés des coins jeux, ils s'engagent bien souvent à leur tour. Enfin, des enfants ne s'inscrivent pas d'emblée aux ateliers. Ils entreront dans l'activité à ma demande et bénéficieront de toute mon attention.
Trois types d'entrées sont générées : une entrée volontaire et culturelle de celui qui adore l'école, qui y est préparé et comprend déjà beaucoup, une entrée volontaire et vicariante de celui qui a observé et analysé par lui-même l'activité, une entrée imposée et tout particulièrement accompagnée de ceux que l'école n'intéresse pas...encore.
- Optimiser le temps scolaire
Tous les enfants ont accès aux coins jeux et beaucoup bénéficient d'un accompagnement personnalisé dans l'activité scolaire puisque je n'ai pas à gérer 25, 30 élèves en atelier en même temps. Je suis plus efficace auprès de mon groupe parce que peu sollicitée par les élèves des ateliers autonomes en moins grand nombre. Avec ces élèves tout neufs de PS/MS, l'atelier autonome ne l'est jamais vraiment à moins de les visser sur une chaise avec une activité simple et répétitive du type "collage de graines". Les apprentissages moteurs, mathématiques, sociaux, langagiers... sont bien plus riches à mes yeux au coin duploo, même si je ne maîtrise pas tout ce qui s'y passe.
Deux groupes d'élèves ont le temps de travailler avec moi sur l' atelier d'apprentissage.

 

L'inscription aux ateliers

Les élèves sont répartis en groupes, souvent appelés des groupes de couleurs.
L'enseignant fixe à chaque groupe un travail différent, qui change à chaque rotation. (Les rouges vont faire de la peinture, les bleus vont compléter la comptine...)
Tous les enfants travaillent en même temps.

Des enfants s'inscrivent aux ateliers dès leur ouverture, ou après avoir joué. Tout le monde devra faire au moins un atelier sur le créneau horaire. Ils peuvent s'inscrire plusieurs fois à un même atelier.

Pourquoi mettre en oeuvre une inscription volontaire, puisqu'au final, tous les élèves devront y passer ?
Démagogie ? Non. Il ne s'agit pas d'être "gentil" avec les enfants en les laissant faire ce qu'ils veulent ! Il s'agit d'être le plus efficace possible en permettant à certains de se mobiliser par eux-même. Et la motivation intrinsèque est la plus efficace des dynamiques si l'on en croit la recherche.
Cette inscription progressive permet de "profiler" des groupes d'élèves et d'être plus disponible pour ceux qui ont le plus besoin d'accompagnement : ceux qui ne s'intéresse pas à la chose scolaire, ceux qui sont restés aux coins jeux. Après m'être occupé du premier flot d'élèves, mon attention portera tout particulièrement sur les quelques élèves qui n'ont encore "rien fait", tandis que les autres pourront à leur tour investir les coins jeux que j'adapte aux besoins des élèves. S'il y a dans la classe des élèves très scolaires, ils trouveront aussi des "coins jeux sérieux".
Pratiquement, pour s'inscrire, les élèves placent leur étiquette sur la boite d'inscription(1) puis ils cochent leur passage sur la liste(2). Ils glissent leur étiquette dans la fente quand ils ont terminé, libérant une place. Attention, les étiquettes ne sont rendues aux enfants pour un second tour d'atelier que lorsque tout le monde en a fait au moins un. Cela permet d'offrir un accompagnement de qualité à TOUS les enfants, pas seulement aux goulus de l'école ou aux accros des adultes.

Le réseau de relations humaines qui s'établit dans la classe est respecté. Un enfant comme un adulte donne le meilleur de lui-même quand l'environnement humain n'est pas imposé mais un peu choisi. Bien sur, si les choix de l'enfant nuisent à ses acquisitions, j'interviens. ( Parfois, il est difficile de laisser deux enfants "travailler" ensemble...)

Certains enfants s'inscrivent à un atelier auquel ils ont déjà participé. Ils ont déjà exploré une première fois l'activité, mais chez les petits, c'est souvent le besoin de "patouille" qui s'exprime en premier lieu : le plaisir sensori-moteur l'emporte sur le respect de la consigne. Passé cette première étape et après le temps du bilan, ils sont plus à même de s'ouvrir à l'activité demandée. Beaucoup améliorent leur travail lors de leur second passage sur la même activité.
D'autres reviennent pour explorer un niveau différent des ateliers échelonnés, certains pour le plaisir de bien faire et engranger une bonne estime d'eux-même en tant qu'élève. L'inscription multiple s'inscrit dans une dynamique de progrès, ou l'enfant peut évoluer au fil de ses expérimentations, des bilans, des erreurs.

L'atelier échelonné, au coeur du
dispositif

L'enseignant fixe un niveau de compétence à travailler dans chaque atelier.
La différentiation est généralement envisagée en aval de la compétence demandée, pour soutenir les élèves en difficultés
: du simple coup de mains dans la foulée des ateliers à l'aide personnalisée, ritualisée en dehors du temps d'atelier.

L'atelier échelonné propose plusieurs niveaux de difficultés aux élèves en même temps. Les élèves peuvent explorer plusieurs échelons au sein de l'atelier ou lors d'un autre passage.
Ce dispositif répond à l'extrême diversité de la petite enfance : comment permettre à chacun de progresser, d'apprendre avec une telle différence de compétences.
Pour illustration, cette vidéo d'enfants de petite section, prise au mois d'octobre :

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Un élève parvient par moment à trier par couleur mais se laisse emporter par le plaisir de faire.
Lors de son second passage, il y parviendra sans hésitation.
Un élève trie par couleur sans problème et passera directement au niveau 2 : trier en fonction de deux critères, la forme et la couleur.
Une élève est capable de réaliser des collections comprenant autant de formes que dessinées sur la consigne. Les consignes constellations lui poseront plus de problèmes lors d'un second passage.
Les réussites sont notées sur des tableaux ou des brevets. Je veille à ce que tous les niveaux de la classe y soient représentés. Remplir la tige, par exemple, constitue déjà un premier pas.
Les niveaux sont parfois modifiés pour s'adapter aux difficultés imprévisibles que rencontrent les enfants et aux compétences surprenantes qu'ils démontrent parfois.
Les élèves sont en confiance face aux ateliers où ils savent qu'ils ne seront pas jugés , que la difficulté sera en rapport avec leur efficacité. L'échec est apprivoisé, c'est sans crainte qu'ils s'engagent dans des défis : tenter leur meilleur niveau.

Ce dispositif, que j'ai imaginé au contact de ma classe unique maternelle, est au coeur de ma pratique. Il s'applique à l'ensemble des domaines d'apprentissages. Chacun suit son propre parcours vers les compétences de fin de cycle sans que l'enseignant n'ait à se cloner en 25...
Articulé avec l'ensemble des pratiques, il intègre différents points clés de la pédagogie : l'enfant est acteur de ses apprentissages, il travaille dans sa zone proximale de développement et construit ses propres parcours. Il perçoit son efficacité quelle qu'elle soit. Son engagement, comme son estime de soi, s'en trouve renforcé.


Le mélange des sections : une
mise en pratique des cycles

Dans les classes à niveaux multiples, les élèves sont généralement regroupés par section au sein de groupes différents.
Chaque section travaille sur des compétences différentes.

Les sections sont mélangées, c'est l'atelier échelonné qui se différentie assez pour accueillir tous les élèves en même temps. Les enfants y travaillent non pas en fonction d'un niveau type pour leur section, mais en fonction de leur compétence.
C'est une illustration pratique des cycles d'apprentissages.

En maternelle, la diversité de compétences balaye les sections : tel petit réussit ce qu'on imaginait pour des moyens, quand ce moyen a encore besoin de travailler une activité destinée aux petits pour progresser pendant que celui là attaque déjà le programme des grandes sections...
Difficile de cloisonner un niveau de compétence par section si l'on souhaite voir tout le monde progresser.
L'atelier échelonné permet d'intégrer cette diversité extrême. Dans le cas de plusieurs sections, il propose une palette de difficultés plus élargie qu'au sein d'un cour simple.
Et quelle richesse !
Les petits, ou moins experts, sont stimulés et apprennent au contact des plus habiles, en analysant l'action des autres, en communiquant avec eux. Ils perçoivent l'orientation des apprentissages et ont bien souvent envie de se frotter aux travaux plus difficiles. Les plus forts progressent en verbalisant leur savoir, parfois encore "intuitifs".
Ce dispositif favorise le développement du langage grâce aux échanges entre les bons parleurs des sections supérieurs et les plus jeunes dont le langage oral est en construction.
Parmi tous les petits bonus que les cours multiples génèrent, la socialisation est grandement facilitée. Les règles de vie de la classe s'apprennent rapidement, par imitation. Les moyens et grands y participent et rassurent les petits par leur aisance et leur plaisir d'écolier.
Si le mélange des sections demande une préparation plus délicate, elle facilite le travail de l'enseignant au quotidien : il peut s'appuyer sur une partie de sa classe déjà élève et autonome, il bénéficie d'un temps d'enseignement à effectifs réduits l'après-midi, durant la sieste des petits.


Une modération tout de même
: les élèves de grande section travaillent sur certaines compétences trop expertes, trop abstraites, pour être déclinées à destination des plus jeunes.
Leur rythme de travail, leur faculté de concentration augmente de façon significative en grande section. Certaines séquences ne sont menées qu'avec les élèves de grande section, tout en maintenant des temps d'ateliers toutes sections confondues. (Voir l'Emploi du temps).

Ancrage théorique

Dans "Motivation et réussite scolaire", Alain Lieury et Fabien Fenouillet vulgarisent non sans humour les recherches liées à la motivation de l'élève.
Ce schéma "Typologie de la vie courante à travers les dimensions de la motivation" est présenté dans la conclusion.
Ce sont les dimensions de la motivation qui m'intéressent ici : un élève qui parvient à travailler dans un espace d'autodétermination aura de meilleurs résultats qu'un élève qui ne travaille que sous la contrainte. La motivation intrinsèque donne de meilleur résultats que la motivation extrinsèque.
(À rapprocher des théories de Freinet...)
Nous avons donc tout intérêt à permettre à l'élève de se mobiliser par lui-même, en lui donnant d'abord accès au langage scolaire dans un cadre adapté à la petite enfance. (Difficile de s'engager quand on ne comprend ni les mots de l'école, ni ses attentes.)
Cet espace d'autodétermination est important dans l'organisation de notre classe : les élèves choisissent en partie quels ateliers du plan de travail ils vont faire dans la matinée et sur quels niveaux de difficultés ils vont s'investir. Le plan de travail collectif devient ainsi individuel : chaque enfant construit son propre parcours à partir de ce qui est proposé à tous, détermine avec l'aide de l'enseignant son rythme de travail (en s'inscrivant parfois plusieurs fois). Il fait évoluer à sa mesure son niveau de compétence au sein des ateliers échelonnés.
(À rapprocher des théories de Vygotski sur la zone proximal de développement.)


On retrouve dans ce schéma les théories de Bandura concernant l'autoefficacité perçue. (L'évaluation par l'individu de ses aptitudes à réussir joue un rôle... sur sa réussite ! )
Bandura prétend que les personnes cherchent à éviter les situations et les activités qu'elles perçoivent comme menaçantes, mais elles s'engagent à exécuter les activités qu'elles se sentent aptes à accomplir. Bref, si un enfant se trouve nul en écriture, il ne s'engagera pas de façon efficace dans l'atelier.
L'organisation de la classe proposée ici donne aux enfants une perception positive de leurs compétences à travers les brevets de réussites.
Voilà ce que je sais faire, voilà ce qui me reste à apprendre.
Il n'y a pas de domaine menaçant , chaque enfant à un standard personnel à atteindre. Je veille à ce que tous les niveaux de la classe soient représentés sur l'atelier échelonné et le brevet.

L'organisation de la classe donne aux enfants un espace d'autodétermination, les moyens de percevoir leurs compétences et de progresser à leur hauteur. A la lueur de la recherche, cela augmente de façon significative la réussite scolaire.

Et à la lueur de mon expérience, cela augmente de façon significative le plaisir d'enseigner !
(À rapprocher du témoignage d'autres enseignants...)