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Chapitres

 

Christine Lemoine
Juillet 2011

 

 

 

Les coins jeux

Jouer ou travailler ?

"A l'école, on n'est pas là pour jouer, on est là pour travailler !..."
Cette vision de l'école hante les enseignants et certains inspecteurs.
Elle rend les coins jeux presque honteux.
Un bon enseignant fait travailler sa classe sur une activité qu'il a pensée, programmée avant et après une autre. C'est son métier. Les coins jeux constituent une activité accessoire, qui semble ne faire appel à aucun savoir-faire.

Pourtant... À l'école on est là pour apprendre.
Et les coins jeux constituent un espace d'apprentissages social, langagier, mathématique, moteur... même s'ils échappent à l'enseignant. Les quelques exemples plus bas en témoignent. L'excellent document de l'IA 94 fait un point très complet autour de l'espace classe et notamment le lien entre les domaines de compétences et les coins jeux dans son chapitre "Les enjeux des coins jeux".

Pourtant... L'école a pour mission de mettre en oeuvre les instructions officielles.
Les programmes rappellent dans leur introduction "L'école maternelle élargit l'univers relationnel des enfants et leur permet de vivre des situations de jeux... Elle s’appuie sur le besoin d’agir, sur le plaisir du jeu, sur la curiosité..."

Deux petites lignes en introduction, c'est bien et ce n'est pas grand chose pour des enfants de 2 à 6 ans. La place du jeu peut sembler étriquée. Rapidement, les instructions officielles passent aux choses "sérieuses" : les domaines d'apprentissages, les compétences à acquérir.
Les coins jeux participent à la construction de ces compétences, mais ces dernières y sont difficilement évaluables, programmables.
Si l'enseignant peut conclure "Là, tu as bien ou mal travaillé" on l'imagine moins dire "Là, tu as bien ou mal joué", en dehors du respect des règles d'utilisation, parce que le jeu a sa propre finalité, qui n'appartient qu'aux joueurs. Les compétences mises en oeuvres n'en sont pas moins riches et complexes mais elles nous échappent, nous pouvons difficilement en concevoir des indicateurs qui caractérisent LE professionnel : "A la fin du coin jeux, les enfants auront appris à..." Cela dépend de chaque enfant, même si l'enseignant peut y déterminer les champs de compétences balayés.
Voilà peut être ce qui explique la faible représentation du jeu dans des programmes d'enfants de 2 à 6 ans, des programmes axés sur les compétences et connaissances...
Quand on les compare aux programmes préscolaires québécois qui touchent les enfants de 4 à 6 ans, le contraste est saisissant.

Une autre explication... L'école maternelle française oscille entre deux pôles (*), deux tensions : faut-il placer l'enfant ou les programmes au coeur des apprentissages ? Un enseignant doit-il être un professionnel bienveillant qui respecte le rythme de l'enfant et ses spécificités ou un professeur sérieux qui fait travailler ses élèves ? (Les deux mon capitaine...) Les IO 2008 sont clairement orientées vers la dernière option, avec peu de références aux spécificités de la petite enfance.
Un autre axe de compréhension de l'école peut s'imaginer : celui de l'efficacité.
Le besoin de jouer, d'agir, d'expérimenter, d'échanger, de concevoir par lui-même a conduit l'enfant à de fabuleux apprentissages avant ses premiers pas d'écolier.
Utilisons cette dynamique puissante tout en introduisant une nouvelle : l'activité scolaire, cadrée par l'enseignant. Travail et jeu sont deux chemins différents vers le même horizon : apprendre, progresser. Utilisons les ensemble.
(*)Voir "AVOIR DE L'AMBITION POUR LES ENFANTS DE L'ÉCOLE MATERNELLE de Josiane HERMAN-BREDEL " publié sur Eduscol

Mise en oeuvre des coins jeux

DEVENIR ÉLÈVE
- respecter les autres et respecter les règles de la vie commune ;
- écouter, aider, coopérer ;

- éprouver de la confiance en soi , contrôler ses émotions ;

Quand ?
Les coins sont accessibles dès le matin, pour presque toute la journée. Les ateliers sont ouverts un par un sans rompre les jeux qui fourmillent à l'accueil. Des enfants s' inscrivent aux ateliers. D'autres poursuivent leurs jeux et s'engagent plus tard sur une activité scolaire, spontanément ou à la demande de l'enseignant. Dans tous les cas, tous les élèves font au moins un travail.
Comment ?
Pour y accéder, il faut passer à son poignet un chouchou de couleur qui matérialise le nombre de places disponibles, nombre écrit à l'entrée de chaque coin jeu.
Des situations numériques en découleront : Il y a déjà un enfant au coin cuisine, combien peuvent encore y entrer ?
Il y a 2 enfants à la cuisine, deux entrent à nouveau. Qu'en penses-tu ?"
S'il n'y a plus de chouchoux, c'est qu'il n'y a plus de places.
Les enfants interprètent parfois au premier degré cette règle : "s'il me faut absolument un chouchou pour aller au garage, j'entre dans le coin, j'arrache le chouchou du bras d'un enfant et je m'installe tranquillement."

Le bruit et les disputes
Pour rester aux coins jeux, il faut respecter le matériel et ceux qui travaillent. Dans le cas contraire, je me déplace et j'énonce sans crier les règles : "Tu fais trop de bruits à ce coin jeu. Tu nous déranges. Tu sors." Bien souvent, ils essaient de négocier, d'amadouer, parfois de mépriser. Mais je reste de pierre (comme maman Quichon ;-)) et je sors tranquillement mais fermement l'enfant. Il arrive en début d'année qu'il manifeste son désaccord à coup de hurlements... Mais cela ne dure pas. Petit à petit ils comprennent qu'ils n'ont pas d'autres options : s'ils veulent jouer là, avec leur meilleur copain, c'est discrètement. Ça motive et petit à petit je n'interviens plus.
Quand ils viennent me voir à cause du camion rouge que machin a pris à bidule qui l'avait d'abord, je me lève et je prends l'objet : "Voilà, il n'y a plus de dispute maintenant, je peux retourner à mon atelier..."
Mon intransigeance peut paraître dure. Mais elle est contre-balancée par l'attention bienveillante que nous manifestons à l'égard de chacun, le respect de leurs besoins fondamentaux. Et grâce à elle, les enfants rapidement jouent en autonomie, gèrent la plupart de leurs conflits, dans une discrétion relative. Il nous faut une classe sereine pour pouvoir travailler, jouer, vivre ensemble.
Une remarque : ce respect d'un certain niveau sonore ne peut perdurer sans un travail sur soi des adultes.
Nous avons tendance à élever la voix, que l'on s'adresse au groupe ou à un enfant. Cela crée une nappe sonore qui oblige les uns et les autres, à leur tour, à élever la voix pour échanger.
Si je m'adresse à un enfant et que ceux situés 3 mètres plus loin ont tout entendu, c'est que je parle trop fort. Si l'ATSEM entend mes remarques à son atelier, à l'autre bout de la classe, c'est que je parle trop fort. Je lui demande la même vigilance.


Ce brevet présente les compétences travaillées dans tous les coins jeux.

Les jeux symboliques

S'APPROPRIER LE LANGAGE
- comprendre un message et agir ou répondre de façon pertinente ;
- nommer avec exactitude un objet, une personne ou une action ressortissant à la vie quotidienne ;
- prendre l’initiative d’exprimer son point de vue.

DÉCOUVRIR LE MONDE
(Lors du rangement)
- reconnaître, nommer et classer, des objets selon leurs qualités
- se repérer dans l’espace

Un exemple : La cuisine
Les plus jeunes investissent cet espace par l'action : on tourne les robinets, on ouvre les placards, on vide le frigo, les étagères, tout se retrouve par terre...
Puis rapidement on imite : on touille devant la cuisinière, on nourrit la poupée, la carotte devient biberon...
Enfin, parce qu'il y a d'autres enfants au coin jeu, on communique, on collabore, on négocie et petit à petit un mini-ordre social s'énonce, des aventures prennent forme: Toi tu serais la maman et ...
Qu'est-ce qui s'y passe ?
En jouant "à faire semblant", l'enfant imite un monde absent qu'il se représente. Dans ces aller retour du monde "pensé" au monde "joué", il modèle ses propres représentations, tente de les mettre en mots, en gestes, exprime son ressenti, évacue parfois des tensions.
Parce qu'à l'école, les coins jeux réunissent plusieurs enfants, ils constituent un premier lieu de rencontre de l'autre, de représentations différentes, sans l'interface de l'adulte. Des règles sont mises en oeuvre, des rôles, des discours...
Quels bénéfices?
L'enfant y développe :
- sa motricité
- sa fonction symbolique et son langage que Piaget lie l'un à l'autre (*)
- son identité en jouant ses représentations du monde et en se confrontant aux autres
- son imagination
- sa faculté à communiquer (pour se faire comprendre des autres)
- sa sociabilité
Des activités autour des coins jeux
Lors du rangement, les objets sont nommés, placés en fonction d'images affichées. (Il faut ranger les objets sur les étagères comme sur la photographie, veiller à ce que l'on place en haut à droite....) On peut transformer ces photos en un simple dessin, un symbole, un mot.
Des jeux de loto peuvent reprendre ces éléments (niveau 1, autour du lexique) et les enfants en action (niveau 2, autour de la phrase "Léane porte le siege du bébé sur sa tête.").
Pour en savoir plus : "Acquisition du langage dans le jeu de rôle" K Marinova

 

Le coin briques

S'APPROPRIER LE LANGAGE
- comprendre un message et agir ou répondre de façon pertinente ;
- prendre l’initiative d’exprimer son point de vue.
DÉCOUVRIR LE MONDE
- se situer dans l’espace ;
- comprendre et utiliser à bon escient le vocabulaire du repérage et des relations dans le temps et dans l’espace.

Dispositif matériel
Les briques de cartons sont commercialisées par Wesco ou Éveil et jeu.
Ce coin jeu n'accueille que deux enfants en même temps, il demande de la place.
Le sol est tapissé de tapis qui amortissent le bruit des briques qui tombent.
De gros cartons sont disposés contre un mur pour ranger les briques.
Qu'est-ce qui s'y passe ?
Les enfants construisent des tours, des murs, des enceintes. Ils tapissent parfois le sol pour crée la cabine d'un vaisseau spatial avec des bancs pour les pilotes, ils créent des circuits pour les voitures, des plans inclinés.
Aucune excitation ne s'y développe, comme on pourrait s'y attendre avec ce type de jeu. Aucune brique n'est jetée à travers la classe. Les enfants savent qu'ils perdraient le droit d'y jouer. C'est mon intransigeance vis à vis du respect des règles qui me permet d'offrir ces espaces aux enfants.

Quels bénéfices ?
Les élèves y développent les mêmes compétences que dans les jeux symboliques avec des dominantes différentes : ils exercent plus leur motricité et leur sociabilité. Il faut savoir s'exprimer, se faire comprendre et s'entendre pour construire ensemble une maison...
Ce coin jeu permet d'expérimenter l'espace : la verticale, la droite, les alignements, l'orientation des briques et de leurs faces rectangles, les grandeurs et mesures lorsqu'il s'agit de combler un espace. Indirectement, l'enfant doit s'orienter lorsqu'il joue : le haut, le bas, la droite, la gauche.
Ces notions constituent des prérequis indispensables à la maîtrise du langage écrit : différencier un p et b, un p et un q, c'est savoir repérer ce qui est en haut, en bas, à droite, à gauche.
Des activités autour des coins jeux
- Les enfants trient par couleurs les briques lors du rangement.
- Avec des briques de papier, en atelier ils construisent par collage des tours, des murs, des châteaux avec des créneaux.
- Un enfant est l'architecte : il donne les consigne à un autre enfant pour construire une tour photographiée "Prend deux briques vertes, mets les en bas, pas collées. "
Les briques sont utilisées parfois en sport, pour réaliser des parcours, constituer des obstacles, ou servir de projectiles.

Coins jeux sérieux

SE PRÉPARER À LIRE ET À ÉCRIRE
- reconnaître et écrire la plupart des lettres de l’alphabet ;
DÉCOUVRIR LE MONDE
- mémoriser la suite des nombres au moins jusqu’à 30 ;
- associer le nom de nombres connus avec leur écriture chiffrée

Qu'est-ce que c'est ?
Le coin jeux sérieux est un petit clin d'oeil aux "serius games" qui caractérisent, pour faire bref, des logiciels à visée éducative.
Le coin jeu sérieux reste un jeu : les enfants gardent l'initiative d'y aller ou pas, mais il comporte une dominante très scolaire et comporte parfois des règles précises, des défis à réaliser.
Ils s'adressent aux passionnés d'école, aux enfants plus mûrs qui se régalent des fiches d'écritures, de situations numériques complexes, de défis... Leur plaisir, leur enthousiasme entraîne parfois d'autres enfants derrière eux. Ce chapitre en présente brievement deux exemples.

Le coin jeu numéros
Les enfants essaient de reconstituer la file numérique le plus loin possible.
Un premier niveau avec des perles, jusqu'à 10 est disponible.
Un brevet garde la trace de leurs réussites et présente dans le coin jeu les défis à relever.

Le coin bureau (écriture)
Les enfants reprennent des fiches d'écriture qu'ils ont déjà travaillées (Voir Abécécriture ). Ce coin est ouvert aux MS/GS (et aux petits très à l'aise en écriture.) Les fiches cursives sont réservées à un public désigné : les enfants capables de respecter les sens de rotation des lettres, les points de départ des tracés...
Chaque fiche terminée est placée dans une corbeille, avec le prénom ou l'initiale de l'enfant.

Le brevet "Coin jeu numéros"