Gros plan sur un réseau d’albums un peu spécifique : celui autour de la peur. Pour ce cahier numérique, nous nous demandons à partir d’une parcelle d’illustration : « Qui a peur de ça ? » . Ce questionnement fermé induit des réponses calibrées, propices à un travail d’amélioration du langage. Mais pas seulement…
Apprendre à communiquer
Nous voilà réunis autour des livres pour en parler. Les enfants reconnaissent la parcelle d’illustration présente sur la tablette et la parole circule :
– Qui a peur de lui ?
– Tu es sûr ? Comment le sais-tu ? (La réponse n’est jamais sur l’image pour amener les enfants à développer, justifier.)
– Pourquoi les gens ont peur de lui ?
C’est l’occasion d’expliciter un temps du récit, d’affiner la compréhension.
Puis vient le moment de s’enregistrer sur le cahier numérique de littérature créé avec Book Créator. Chaque enfant, à tour de rôle, s’en charge.
Ce n’est déjà pas facile à 3, 4 ans d’échanger avec d’autres sur un sujet donné, de rester dans le propos ! Et voilà qu’en plus, il faut contrôler sa parole au moment de l’enregistrement :
– « Ils sont un peu cassés mes chaussons. » dit un enfant, le nez vissé sur ses pieds au moment où un autre s’apprête à répondre.
Tranquillement, nous écoutons l’enregistrement, nous remarquons cette drôle d’incursion des chaussons et nous en convenons : il faut se taire quand un copain s’enregistre. Ce que tout le monde fera lors du « second jet ».
L’enfant doit prendre assez de distance avec les livres, l’image à l’écran, ses émotions pour pouvoir en parler.
Une petite fille n’en démordra pas quand il s’agira de s’enregistrer :
– « Qui a peur du loup ? »
– « C’est moi ! J’ai peur des loups. »
Impossible d’aller plus loin pour l’instant. Elle interviendra sur une page moins chargée affectivement.
Parler des livres, les « penser » demande une mise à distance à construire petit à petit. La ritualisation du cahier numérique de littérature que l’on renseigne à chaque période va y participer.
Au moment de l’enregistrement, certains commencent leur phrase par l’image qu’ils voient à l’écran :
– Qui a peur de Grodino ?
– C’est Grodino qui a peur des gens… » répond une petite fille en se rendant compte que quelque chose ne va pas dans sa formulation.
On écoute : mais non, bien sûr ! Ce n’est pas Grodino qui a peur des gens, c’est le contraire.
Elle se corrige lors du « second jet » et fait appel à sa pensée pour construire la phrase réponse plutôt que de se laisser emporter par l’image.
Quand les enfants le peuvent, nous essayons de prendre en compte les destinataires de ce livre numérique.
Les parents, les copains ne connaissent pas forcément cette histoire. Il faut être précis. Si on répond « C’est le petit qui a peur de la nuit. », on ne sait toujours pas de qui on parle.
Ce projet de cahier numérique révèle et exerce des incontournables de la communication. Pour renseigner l’ebook, il faut :
– S’exprimer, se taire au bon moment.
– Écouter l’autre en toute bienveillance, échanger, argumenter (quand on est un peu plus grand).
– Rester dans le propos.
– Tenir compte du destinataire (qui n’est pas dans notre cerveau et ne connait pas forcément cette histoire).
– Parler face au micro (ou face à son interlocuteur : dans les échanges de tous les jours, les jeunes enfants nous parlent souvent de ce qui se passe là-bas, en nous tournant le dos…).
Des compétences fondamentales au métier d’élève
Améliorer la structure du langage
La tablette nous permet d’écouter les productions langagières instantanément. Elle révèle le langage oral comme la feuille de papier révèle l’écrit. Nous pouvons l’observer, l’analyser et l’améliorer si besoin.
Mais il s’agit pour l’enseignant de proposer à chaque enfant une amélioration à sa hauteur. Je me suis inspirée de la progression en syntaxe montante de P. Boisseau : j’essaie de proposer une phrase d’un niveau syntaxique juste supérieur à celui de l’enfant.
À partir de la phrase noyau, introduire un pronom personnel
Enfant : « A peur le chat. »
Reprise de l’enseignant : « Il a peur, le chat. »
Différentier les pronoms personnels
Enfant : « I a peur la tite fille. » (Le pronom valise « i » est utilisé à tout moment.)
Reprise de l’enseignant : « Elle a peur, la petite fille. ».
À noter : à ce stade, la reprise du sujet en fin de phrase (le détachement) est incontournable. Comme le propose P Boisseau dans les oralbums, j’utilise à ce niveau cette forme syntaxique bancale mais accessible. La forme correcte « La petite fille a peur. » est hors de portée de cet enfant.
Complexifier avec le présentatif « C’est X qui »
Enfant : « C’est Rikiki ! »
Reprise de l’enseignant: « C’est Rikiki qui fait quoi ? »
Enfant : « C’est Rikiki qui a peur du moustique. »
Concentrer la phrase avec des déclaratives simples
Enfant : « Les gens, ils ont peur de Grodino ! »
Reprise de l’enseignant: « Les gens ont peur de Grodino. »
Pas si simple que ça pour les enfants, comme l’indique ce tableau présenté par P Boisseau sur la fréquence des types de phrases utilisées spontanément par les enfants de la MS au CM2.
Complexifier avec différents connecteurs induits durant l’échange préalable.
Enfant : « Les oies ont peur du crocodile alors que c’était un tronc. »
Il s’agit de productions spontanées d’enfants de grande section.
Améliorer la diction
Nous essayons, sans toujours y parvenir, d’amener l’enfant à mieux prononcer.
Lorsque son énoncé est incompréhensible, j’essaie de lui réserver une participation à sa hauteur : un mot, une courte phrase facile à prononcer « C’est rikiki ! »
A l’écoute, nous nous rendons compte que certains énoncés sont hachés, souvent à cause de l’émotion. Nous les reprenons aussi, en essayant de parler avec une bonne fluidité. Ce contrôle du langage me semble avoir quelques points commun avec la lecture à voix haute « en mettant le ton » de l’élémentaire.
Témoignage : essais classés des élèves
J’ai gardé pour cet article les différentes étapes enregistrées, du premier jet au « produit fini ».
Deux ou trois pages ont été sélectionnées à chaque fois, mais j’aurais pu en présenter bien plus.
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D’autres explorations autour de la peur
Nous avons théâtralisé les albums qui s’y prêtaient : « Tu ne dors pas petit ours », « Riquiqui » et « Il l’a fait ! ».
Nous avons recensé nos peurs.
J’ai été étonnée que des enfants de maternelle me parlent de zombies en détail. Ils ne figurent pas dans notre tableau : ce genre de personnage imaginaire ne s’adresse pas aux enfants, leur ai-je précisé.
Créer des petits livres à partir des peurs des enfants. (Ce nouveau petit livre fera l’objet d’un autre article.)
Lire : vrai ou faux ?
À noter
D’autres réseaux induiront une grille de lecture différente et d’autres axes de travail plus tournés sur la compréhension par exemple.
À 30 élèves par classe, il est quasiment impossible de mener ce travail de dentelière du langage.
Merci au Café Pédagogique qui a publié dans ses colonnes une version de cet article 😉
Merci à vous très chères collègues
« Peux tu rapidement expliquer comment tu utilises les nouveaux tampons que tu as acheté ( sur pichon?). Cela fait longtemps que je les utilisent plus et je préfère aussi celui de » champion ».
Je m’étonnais en fait que ces tampons se multiplient dans les catalogues de fournitures scolaires.
Je n’en utilise pas mais j’idée du tampon « champion » m’irait bien.
« ne fois le cahier numérique finalisé laisses-tu les différents essais des enfants ou bien ne gardes-tu que les productions les plus abouties? »
Je les ai gardé pour les besoin de l’article, mais en générale j’élimine les premiers jets au fur et à mesure.
« Et bien moi je me demande encore si elle trouve du temps pour dormir Christine »
Rhooo mais oui 😉
@micalement
Christine
Et bien moi je me demande encore si elle trouve du temps pour dormir Christine!! Je suis fan!
Merci beaucoup pour toutes ces pistes d’exploitation autour de la littérature de jeunesse et l’utilisation de la tablette. Juste une petite question supplémentaire: une fois le cahier numérique finalisé laisses-tu les différents essais des enfants ou bien ne gardes-tu que les productions les plus abouties?
Bonjour Christine?
Je te remercie pour partager toutes ces idées qui viennent enrichir mon travail et m’aider à travailler aussi le langage avec 30 GS à la rentrée.
Le réseau autour de la peur va venir compléter mon travail de septembre sur les émotions: appréhender le vocabulaire des sentiments.
Peux tu rapidement expliquer comment tu utilises les nouveaux tampons que tu as acheté ( sur pichon?). Cela fait longtemps que je les utilisent plus et je préfère aussi celui de » champion ».
Ensuite, je ne retrouve plus le lien sur un nouveau blog ou site d’une enseignante de maternelle que tu as poste en mai me semble t-il.
Je te souhaite une bon fin d’année et beaucoup de satisfaction.
A bientôt
karine
Oh!Oui Christine!Une fois de plus je suis d’accord avec toi?Comment faire progresser nos élèves en langage à 30 par classe??? 29,8 à la prochaine rentrée!!!
Merci pour le super boulot partagé une fois de plus!